Voilà un sujet qui s’impose de lui-même aujourd’hui: l’article paru ce matin dans Le Devoir concernant le blogue Les dessous de la politique et la controverse entourant l’identité de son auteure.

Est-ce qu’Élodie Gagnon-Martin est une « elle » ou un « il »? Ça n’a plus vraiment d’importance maintenant. Que les allégations soient fondées ou non, c’est la crédibilité de l’ensemble des blogueurs politiques qui est entachée par toute cette affaire.

À chaque jour, il y a plein de blogueurs qui donnent leur 110% pour faire partager leur analyse sur la situation politique et/ou promouvoir leur point de vue partisan. La qualité est variable, mais à travers le lot, nous croyons qu’il y en a plusieurs qui valent le détour et qui valent bien ce qu’on lit dans les médias traditionnels (et ce partout à travers le spectre politique). Dans le style polémique et analytique, il y a du “bon stock”. On en retrouve parfois les échos dans les journaux et à la télé, mais généralement, c’est un à-côté pour tâter le pouls de l’opinion publique sur des enjeux ponctuels. Et paf! Quand les blogueurs se mettent enfin à faire la une, c’est pas pour une brillante analyse de la situation politique, c’est pas pour un scoop fumant sur un politicien, c’est pour une controverse sur du personnel politique soupçonné de bloguer. Voilà de quoi faire en sorte que les blogues soient pris au sérieux!

Chose certaine, peu importe le point de vue d’où on se place et peu importe le dénouement de cette affaire, ce n’est une belle journée pour la blogosphère politique québécoise.

Les dessous d’un mystérieux blogue adéquiste

Antoine Robitaille
Le Devoir
Édition du vendredi 28 septembre 2007

Québec — Une mystérieuse et prolifique blogueuse adéquiste, qui signe Élodie Gagnon-Martin, irrite et intrigue tellement les blogueurs souverainistes que ces derniers ont lancé une enquête pour la démasquer.

Le blogue de Mme Gagnon-Martin, qui s’intitule «Les dessous de la politique - Les réflexions d’une fille de droite» et qui contient des propos mordants, dont certains presque diffamatoires (comme cela se produit fréquemment dans la blogosphère), est devenu une référence pour les grands médias. Mme Gagnon-Martin a par exemple été citée à plusieurs reprises dans les carnets technologiques du Réseau de l’information de Philippe Schnobb et Sophie-Hélène Lebeuf. Mardi, par exemple, on y faisait référence à la réaction de la blogueuse à l’élection partielle de la veille. Métro a cité des extraits de son blogue à au moins deux reprises. La Presse a fait de même dans plusieurs textes et a même publié une lettre le 5 septembre (en réaction à un éditorial) signée Élodie Gagnon-Martin. Le numéro 2 de l’Action démocratique du Québec, Gilles Taillon, publie souvent des commentaires au bas des entrées de Mme Gagnon-Martin.

Or, selon des blogueurs souverainistes comme Claude Villeneuve (ancien président des jeunes péquistes), Élodie Gagnon-Martin serait en fait un «nom de clavier», une fausse identité. Si la dame a une adresse courriel (Hotmail) et échange des messages, personne, pas même d’autres blogueurs adéquistes qui organisent des rencontres IRL («in real life»), par exemple David Chrétien («Un blog de centre-droit»), Marc Snyder et Vincent Geloso, ne lui a parlé ni ne l’a rencontrée. «C’est un grand mystère, dit M. Geloso. Moi-même, je ne sais toujours pas qui elle est. Si vous l’apprenez, informez-moi», nous a dit ce militant adéquiste de la région de Montréal, qui a cessé de bloguer parce qu’il «se consacre à ses études en économie».

Le Devoir a évidemment écrit à de multiples reprises à Mme Gagnon-Martin et, alors qu’elle était active dans son blogue, elle n’a jamais répondu à nos demandes d’entrevue.

Élodie, un garçon

Des souverainistes soutiennent qu’Élodie Gagnon-Martin est en fait un homme, Pierre Morin, employé de l’Action démocratique travaillant au parlement comme chef de cabinet du troisième vice-président de l’Assemblée nationale, Marc Picard.

Ancien militant souverainiste (il a été cofondateur du Mouvement étudiant pour le OUI en 1980), M. Morin, 46 ans, a travaillé auprès de Sylvie L’Espérance (aujourd’hui décédée), qui fut députée adéquiste de Joliette de juin 2002 au 14 avril 2003. Ce «Joliettain pure laine» a été rédacteur en chef de La Lettre adéquiste, une publication du parti, et responsable d’une revue de presse sur l’intranet de l’ADQ. Dans le numéro de mars 2006 de La Lettre, Pierre Morin expliquait qu’il avait offert ses services à l’ADQ huit mois après la cuisante défaite du 14 avril 2003: «Quand on m’a offert un poste au cabinet du chef, je n’ai posé qu’une seule question: est-ce que je vais travailler pour le futur premier ministre du Québec? La réponse m’a décidé à dire oui et j’ai fait mon entrée à Québec en janvier 2004.» Mais en octobre 2005, il est atteint du syndrome de Guillain-Barré et doit quitter ses fonctions.

Lorsqu’il prend du mieux, M. Morin ouvre le blogue «Le Surfeur autonome», où il signe sous le nom de «MisterP» des entrées virulentes qui ont beaucoup de succès dans la «guerre des blogues» pendant la campagne électorale. «Cette guerre des blogues, on l’a gagnée. Et j’ai très bien blogué», nous a-t-il dit avec fierté hier. Au Directeur général des élections qui se penche sur le cas des blogues, il proteste en faisant valoir qu’il est bénévole et nullement un employé rémunéré de l’ADQ. Il raconte dans une entrée que son état de santé lui donne du temps pour travailler à son blogue, ce qui explique le fait qu’il soit si prolifique.

M. Morin, partiellement rétabli, est réembauché par l’ADQ dès après les élections de 2007. Il est alors contraint de fermer son blogue «Le Surfer autonome» et liquide même toutes les archives sur Internet. Il ouvre un autre blogue, «Vu du deuxième» (étage du Parlement), où il entendait parler des dessous de l’Assemblée nationale. «Ceci est mon blogue personnel, comme Radio-Canada et Cyberpresse/Technaute l’ont fort bien souligné», écrivait-il le 28 avril. «Ni l’ADQ ni l’aile parlementaire de l’ADQ ne m’ont mandaté, approuvé ou commandité. Je blogue parce que cela me plaît, voilà! Y voir autre chose, c’est être à côté de la vérité, penser que mon employeur s’en servira pour passer des messages, c’est nager en pleine théorie du complot, ce qui me fera soupçonner que mes fans proviennent aussi de Québec solitaire!» Mais ce projet de blogue personnel a fait long feu. Son devoir de réserve comme employé de l’ADQ l’empêchait de continuer, nous a-t-on expliqué hier à l’ADQ.

C’est peu de temps après, à la mi-mai, qu’apparaît sur la Toile le blogue d’Élodie Gagnon-Martin, intitulé «Les dessous… de la politique». Une blogueuse, Fannie Drolet (auteur de «La Plume souverainiste»), souligne des ressemblances avec celui de MisterP. Dans une entrée intitulée «Mister P version féminine?», elle écrit ceci: «Même grille graphique, […], même blogoliste… Ajoutons à cela la publication des bricolages signés de Mister P.» En effet, ce dernier fait des photomontages, notamment un qui avait été publié dans Le Journal de Montréal pendant la campagne électorale (on y voyait André Boisclair à côté d’un personnage des Têtes à claques).

Les blogueurs qui accusent Pierre Morin de se cacher derrière Élodie Gagnon-Martin «pour diffamer Mme Marois» font remarquer la grande parenté du style et du caractère chez les deux personnages. Ils sont résolument antipéquistes et de droite, apprécient les mêmes caricaturistes et publient les mêmes bannières («Sauver le Darfour», notamment). Le vocabulaire et les expressions («scoop de l’année», «théorie du complot») sont apparentés. Élodie oublie même assez souvent d’accorder ses phrases au féminin.

Elle qui dit vivre à Montréal, être une «travailleuse autonome» (en quoi, on l’ignore) qui «gagne bien sa vie», connaît extrêmement bien les rouages de l’Assemblée nationale, parle du «hot room», cette pièce du parlement où les journalistes mitraillent les politiciens de questions avant ou après les travaux de la Chambre. Élodie Gagnon-Martin sort parfois de son blogue pour publier des commentaires. Sur le site DemocraticSpace, qui a ouvert une page pour chacune des 125 circonscriptions québécoises, Élodie a d’ailleurs publié des commentaires dans les circonscriptions de Joliette et de Berthier.

D’autres blogueurs (le site CharityBernard, par exemple) qui s’intéressent à cette affaire ont soumis la théorie selon laquelle Élodie Gagnon-Martin serait en fait une autre Élodie, Girardin-Lajoie celle-là, attachée de presse de Mario Dumont. D’autres, dont Claude Villeneuve, évoquent «une personnalité-parapluie, utilisée par plusieurs membres de l’ADQ pour poster une grande quantité d’éditoriaux, de textes de blogue, etc.».

L’ADQ nie

L’ADQ et le principal intéressé ont tous deux rejeté ces théories hier. Le directeur des communications Jean-Nicolas Gagné a déclaré à propos de M. Morin: «À moins qu’il ne le cache, je peux affirmer que Pierre ne fait pas de blogue. Je peux le garantir: Élodie [Girardin-Lajoie] non plus ne fait pas de blogue.» M. Gagné a dit s’être fait poser la question à plusieurs reprises depuis quelque temps. «C’est devenu une blague entre nous. Lorsque Élodie [Girardin-Lajoie] s’en va vers son bureau, on lui dit: “C’est ça, tu t’en vas faire ton blogue!” Et on rit parce que c’est tellement pas son genre.»

Après avoir argué du devoir de réserve de M. Morin pendant trois jours, le service des communications de l’ADQ, en toute fin de journée hier, a finalement permis au Devoir de l’avoir en entrevue. «C’est faux, cette histoire. Est-ce qu’il va falloir que je passe un test d’ADN? Si je bloguais encore, j’écrirais que ces péquistes devraient, eux, passer un test d’urine», a-t-il répondu. «Je ne suis pas blonde et je n’ai pas les yeux verts comme Élodie», a-t-il ajouté. «De toute façon, si je me fie aux rumeurs, je serais derrière une vingtaine de blogues. Ils sont spécialistes de l’exagération, les péquistes. Comme dans leurs budgets et dans leur déficits», a-t-il pesté. M. Morin a raconté que lorsqu’un journaliste avait percé le mystère de l’identité de MisterP, pendant la campagne électorale, il était tout de suite passé aux aveux. «Je ne voulais pas me cacher. J’ai dit qui j’étais», a-t-il déclaré.


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