Alors que le résultat de la prochaine élection partielle dans Charlevoix et que tous s’interrogent sur le comportement électoral des électeurs libéraux en l’absence d’un candidat du Parti libéral du Québec, nous tenterons ici de vérifier quels phénomènes peuvent être observés lors d’une élection partielle où un des principaux partis décide volontairement de ne pas présenter de candidat.
I. Méthodologie
- Pour les besoins de ce texte, nous n’avons retenu que les trois élections partielles où, à notre connaissance, un parti politique s’est volontairement abstenu de présenter un candidat afin de permettre au chef d’une formation politique adverse de faire son entrée à l’Assemblée nationale: Saint-Laurent en 1986, Jonquière en 1996 et Pointe-aux-Trembles en 2006 (pour plus de détails sur les chefs de partis qui font leur entrée en Chambre lors d’une élection partielle, allez voir ici).
- Nous avons comparé les résultats obtenus lors de ces trois élections partielles avec ceux de l’élection générale précédente (1985, 1994 et 2003) et ceux de la suivante (1989, 1998 et 2007).
- Pour mieux prendre en compte le phénomène d’abstention électorale, nous afficherons ici le pourcentage d’électeurs inscrits (% EI) obtenu par les principaux partis. Généralement au Québec, le résultat affiché est le pourcentage des bulletins valides (%BV).
- Le pourcentage de “non votants” ou “taux d’abstention” est le contraire du “taux de participation”. Autrement dit, on l’obtient en faisant la soustraction suivante: 100% - taux de participation.
- Par commodité, nous n’avons pas inscrit le pourcentage de bulletins rejetés, mais nous en avons tenu compte dans nos calculs (c’est pourquoi la somme de tous les pourcentages lors d’une même élection ne donne pas 100%).
- Et avant qu’un petit comique nous remette ceci sous le nez, voici une petite précision: ceci n’est pas de l’inférence écologique, en ce sens que nous ne tentons pas ici de présumer de comportements individuels en nous basant sur des données collectives (par exemple, si le parti X, qui avait 25% lors de la dernière élection générale, décide de passer son tour lors de l’élection partielle suivante et que le taux de participation baisse de 25%, les 25% d’électeurs additionnels qui s’abstiennent de voter ne sont pas nécessairement tous des partisans du parti; certains partisans du parti X peuvent voter pour le parti Y, et d’autres partisans du parti Y peuvent décider de ne pas voter, phénomène qui ne peut être observé avec des données macro). Comme nous l’avons déjà expliqué, on peut observer une variation du taux de participation lors de l’absence d’un parti X, mais ça ne veut pas nécessairement dire que le taux de participation varie parce qu’il y a absence d’un parti X. Pour plus de détails sur la différence entre un lien de corrélation et un lien de causalité, allez lire ceci.
II. Saint-Laurent: élection partielle du 20 janvier 1986
Contexte: élection tenue afin de permettre au premier ministre Robert Bourassa (LIB), défait dans sa circonscription lors de l’élection générale du 2 décembre 1985, de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Le Parti québécois ne lui oppose pas de candidat.
Saint-Laurent (1985-1989) | |||||
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LIB | ADQ | PQ | Aut. | N.V. | |
Élection générale 1985 | 53,0% | s.o. | 14,4% | 4,0% | 27,6% |
Élection partielle 1986 | 37,7% | s.o. | 0,0% | 7,9% | 53,8% |
Élection générale 1989 | 38,0% | s.o. | 13,6% | 21,3% | 25,9% |
Variation (1985-1986) | -15,3% | s.o. | -14,4% | 3,9% | 26,2% |
III. Jonquière: élection partielle du 19 février 1996
Contexte: élection tenue afin de permettre au premier ministre Lucien Bouchard (PQ), assermenté premier ministre trois semaines plus tôt, de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral du Québec et l’Action démocratique du Québec ne lui opposent pas de candidat.
Jonquière (1994-1998) | |||||
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LIB | ADQ | PQ | Aut. | N.V. | |
Élection générale 1994 | 20,8% | 0,0% | 53,9% | 3,0% | 20,0% |
Élection partielle 1996 | 0,0% | 0,0% | 59,4% | 3,3% | 39,0% |
Élection générale 1998 | 14,8% | 3,8% | 46,1% | 11,6% | 23,1% |
Variation (1994-1996) | -20,8% | 0,0% | 5,5% | 0,3% | 19,0% |
IV. Pointe-aux-Trembles: élection partielle du 14 août 2006
Contexte: élection tenue afin de permettre au chef du Parti québécois, André Boisclair, élu à la direction du parti neuf mois plus tôt, de faire son entrée à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral du Québec et l’Action démocratique du Québec ne lui opposent pas de candidat.
Pointe-aux-Trembles (2003-2007) | |||||
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LIB | ADQ | PQ | Aut. | N.V. | |
Élection générale 2003 | 23,6% | 10,1% | 35,7% | 1,7% | 27,7% |
Élection partielle 2006 | 0,0% | 0,0% | 22,4% | 9,2% | 67,7% |
Élection générale 2007 | 13,1% | 19,0% | 34,0% | 5,8% | 27,1% |
Variation (2003-2006) | -23,6% | -10,1% | -13,3% | 7,5% | 40,0% |
V. Observations
- Dans les trois cas étudiés, le taux d’abstention ou de “non votants” augmente sensiblement, mais c’est un phénomène généralisé dans à peu près toutes les élections partielles. Un beau jour, quand ça adonnera, nous tenterons de voir si l’absence d’un parti politique majeur lors d’une partielle peut causer une hausse plus marquée du taux d’abstention par rapport à d’autres partielles.
- Dans les trois cas étudiés, lorsque l’appui envers un des partis “restants” varie, c’est une variation marginale, et pas toujours à la hausse. Le taux de participation varie beaucoup plus.
- Généralement, lors de l’élection générale suivante (1989, 1998, 2007), la situation revient à peu près à ce qui prévalait lors de l’élection générale “initiale” (1985, 1994, 2003), et les disparités entre les deux élections générales s’expliquent indépendamment de la tenue d’une élection partielle entre les deux (ex.: apparition du Parti égalité dans les comtés avec une certaine présence anglophone entre 1985 et 1989; l’ADQ qui présente des candidats dans tous les comtés en 1998, contrairement à 1994; montée de l’ADQ entre 2003 et 2007).
- Le cas de la prochaine élection partielle dans Charlevoix varie des trois cas précédents, en ce sens que ce ne sont pas tous les partis représentés à l’Assemblée nationale qui donneront une “free ride” afin de permettre à un chef de parti de devenir député. Contrairement aux autres fois, en dépit du choix de leur chef de “faciliter” le retour de Pauline Marois à l’Assemblée nationale, les électeurs libéraux ont donc un choix autre que de s’abstenir, de voter pour un tiers parti ou d’appuyer Mme Marois (et Jean-Guy Bouchard, candidat défait (LIB) lors de la dernière élection générale, qui aurait voulu tenter à nouveau sa chance dans Charlevoix, a sa petite idée de ce qu’ils feront). En un sens, c’est un cas à mi-chemin entre une élection où le chef a une “free ride” et une autre où il doit rivaliser avec tous les partis significatifs.
- Évidemment, si nous avions des micro-données permettant de savoir comment un même individu a voté lors d’un des trois cas de figure ci-dessus (ce qui n’est pas le cas ici), nous serions en mesure de confirmer ce que font vraiment les partisans d’un parti politique donné lorsqu’ils n’ont pas de candidat du même parti à appuyer lors d’une élection partielle.
Tags: abstentionnisme, ADQ, André Boisclair, élection partielle, Charlevoix, chefs de partis, comportements électoraux, Jonquière, Lucien Bouchard, PLQ, Pointe-aux-Trembles, PQ, Robert Bourassa, Saint-Laurent
Étant donné la controverse qui fait rage actuellement concernant la présence ou non d’un candidat de l’Action démocratique du Québec dans Charlevoix, nous avons vérifié dans nos archives le sort qui est généralement réservé aux chefs de partis qui tentent de se faire élire comme députés à l’Assemblée nationale. Pour les besoins de la démonstration, nous nous en sommes tenus aux chefs qui correspondent aux critères suivants:
- Être chef d’un parti qui est représenté à l’Assemblée nationale (seule exception: Maurice Bellemare, dont le parti n’avait pas de député lors de sa nomination comme chef, mais qui a tout de même réussi à faire son entrée en Chambre).
- Ne pas être un député au moment de devenir chef de parti (ce qui élimine à peu près tous les chefs avant 1950).
- Tenter de se faire élire une première fois lors d’une élection partielle (depuis les années 30, tout chef d’un parti représenté en Chambre affronte des adversaires des autres partis).
Partis politiques actuels
Parti libéral du Québec
- Georges-Émile Lapalme (devenu chef en 1950): battu lors de l’élection générale de 1952 dans Joliette, élu lors de l’élection partielle du 9 juillet 1953 dans Outremont (3 adversaires, dont UN).
- Claude Ryan (devenu chef en 1978): élu lors de l’élection partielle du 30 avril 1979 dans Argenteuil (3 adversaires, dont PQ et UN).
- Robert Bourassa (redevenu chef en 1983): élu lors de l’élection partielle du 3 juin 1985 dans Bertrand (6 adversaires, dont PQ), battu lors de l’élection générale de 1985, puis réélu lors de l’élection partielle du 20 janvier 1986 dans Saint-Laurent (9 adversaires).
Action démocratique du Québec
- Ne s’applique pas car aucun de ses chefs n’a tenté de faire son entrée en Chambre lors d’une élection partielle.
Parti québécois
- Lucien Bouchard (devenu chef en 1996): élu lors de l’élection partielle du 19 février 1996 dans Jonquière (6 adversaires).
- André Boisclair (devenu chef en 2005): élu lors de l’élection partielle du 14 août 2006 dans Pointe-aux-Trembles (7 adversaires).
- Pauline Marois (devenue chef en 2007): à venir.
Parti égalité
- Ne s’applique pas car aucun de ses chefs n’a tenté de faire son entrée en Chambre lors d’une élection partielle.
Partis politiques qui sont maintenant disparus
Union nationale
- Maurice Bellemare (devenu chef en 1974): élu lors de l’élection partielle du 28 août 1974 dans Johnson (3 adversaires, dont LIB et PQ). L’Union nationale n’avait aucun siège à l’Assemblée nationale à ce moment-là.
Parti conservateur
- Joseph-Alfred Mousseau (devenu chef en 1882): élu lors de l’élection partielle du 26 août 1882 dans Jacques Cartier (1 adversaire de son propre parti!). Fait cocasse: l’élection a été annulée par les tribunaux et il a dû se faire réélire lors d’une autre élection partielle le 26 septembre 1883.
Action libérale nationale, Bloc populaire canadien, Ralliement créditiste
- Ne s’applique pas car aucun de leurs chefs n’a tenté de faire son entrée en Chambre lors d’une élection partielle.
Chefs qui ont tenté de faire leur entrée en Chambre lors d’une élection générale
Nous les mentionnons ici à titre informatif.
- Adélard Godbout (LIB): devenu chef en 1936; député sortant défait en 1936, a refait son entrée en Chambre en 1939.
- Jean Lesage (LIB): devenu chef en 1958; élu une première fois en 1960.
- René Lévesque (PQ): devenu chef en 1968; député sortant défait en 1970, a refait son entrée en Chambre en 1976.
- Rodrigue Biron (UN): devenu chef en 1976; élu une première fois la même année.
- Jacques Parizeau (PQ): devenu chef en 1988; réélu en 1989.
- Mario Dumont (ADQ): devenu chef en 1994; élu une première fois la même année.
- Jean Charest (LIB): devenu chef en 1998; élu une première fois la même année.
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