Un Parlement multipartite
Il y a deux jours, nous postions dans ce blogue un article où nous recensions les (rares) cas où il y avait plus de deux groupes parlementaires reconnus à l’Assemblée nationale du Québec. Tel que promis, nous publions la deuxième partie de notre série «un Parlement multipartite» qui analysera la teneur des règles en vigueur au parlement en contexte de gouvernement minoritaire et de multipartisme. Or, le moins que l’on puisse dire en lisant les Règlements de l’Assemblée nationale, c’est que ça paraît qu’il n’y a pas eu de gouvernement minoritaire au Québec depuis 1878 et que ça paraît que l’Assemblée nationale a vécu sous un régime bipartite durant la majeure partie de son existence.
Mais avant de débuter, nous tenons à préciser que le texte qui suit ne constitue pas un avis juridique sur les règles de procédure de l’Assemblée nationale. Les opinions qui y sont exprimées ne sauraient être invoquées par quiconque dans le cadre des travaux parlementaires, ni être considérées comme un aperçu des décisions qui pourraient être prises par la présidence de l’Assemblée durant les travaux de la 38e législature. Nous ne présumons de rien. Considérez simplement cet article comme une synthèse commentée des règlements en vigueur à l’Assemblée nationale.
Donc, pour le bénéfice des lecteurs, rappelons les critères que doit rencontrer une formation politique pour constituer un groupe parlementaire tels que définis à l’article 13 du Règlement de l’Assemblée nationale :
- avoir obtenu au moins 20% des bulletins valides lors de l’élection générale précédente ou
- avoir fait élire au moins 12 députés lors de la même élection générale.
Contrairement à d’autres chambres législatives, notamment l’Assemblée nationale française et le Parlement européen, le Règlement de l’Assemblée nationale du Québec ne permet pas à deux partis qui n’ont pas le nombre minimum requis d’élus pour constituer un groupe parlementaire de réunir leurs forces afin de constituer un groupe parlementaire commun. Dans les deux cas susmentionnés, il suffit de rassembler 20 députés (sur 577 et 785 députés respectivement), peu importe leur appartenance politique et le score obtenu lors de l’élection générale précédente, pour former un «groupe politique», quoique dans le cas du Parlement européen, il y a également un critère de provenance (les membres d’un groupe doivent provenir d’au moins 1/5e des États membres de l’Union européenne).
2- Les règlements
Responsabilités parlementaires
La nomination du président de l’Assemblée nationale et des trois vice-présidents est prévue à l’article 19 de la Loi sur l’Assemblée nationale qui, s’il ne dit mot sur l’appartenance politique du président,
19. L’Assemblée nationale doit, dès le début de sa première séance après une élection générale, élire, parmi les députés, un président et, par la suite, un premier, un deuxième et un troisième vice-présidents.
Vice-présidents.
Les deux premiers vice-présidents sont élus parmi les députés du parti gouvernemental et le troisième parmi ceux du parti de l’opposition officielle.
Notons qu’il n’y a pas de règle alternative en cas de gouvernement minoritaire ou de présence de plus de deux groupes parlementaires.
Pour ce qui est des responsabilités au sein des groupes parlementaire, il est précisé à l’article 16 du Règlement de l’Assemblée nationale qu’au sein de chaque groupe parlementaire, le chef du parti désigne un leader parlementaire, qui est le spécialiste et le porte-parole de son groupe parlementaire sur les questions de procédure parlementaire et de planification des travaux de l’Assemblée.
16. Leaders — Chaque chef de groupe parlementaire désigne un leader parmi les membres de son groupe. Le leader du groupe formant le gouvernement porte le titre de leader du gouvernement. Le leader du groupe formant l’opposition officielle porte le titre de leader de l’opposition officielle.
Pour ce qui est des whips, dont le mandat est de maintenir le bon ordre dans les rangs de leur groupe parlementaire, la cohésion et la solidarité parmi leurs collègues, le Règlement parle indirectement de leur existence à l’article 115, qui porte sur la composition de la Commission de l’Assemblée nationale, qui prévoit que les whips de chaque groupe parlementaire en font partie.
115. Composition — La commission de l’Assemblée nationale est composée : […]
3. des leaders et des whips des groupes parlementaires; […]
Tout groupe parlementaire a donc droit à un leader et à un whip attitré, mais, comme on le verra plus loin, tous ne bénéficient pas nécessairement des mêmes ressources pour accomplir leur tâche.
Temps de parole
Selon le Règlement de l’Assemblée nationale, le principe général sous-tendant le temps de parole veut que tout député ait le droit de parole une seule fois sur une même question et que chaque député ait un temps de parole égal, sauf pour les représentants des chefs de groupe parlementaire auxquels un temps de parole additionnel est accordé. Donc, globalement, le temps de parole de chaque groupe parlementaire est proportionnel au poids numérique de chaque groupe en Chambre.
209. Règle générale — Sauf dispositions contraires, un député peut s’exprimer une seule fois sur une même question. Son temps de parole est de dix minutes pour une motion de forme et de vingt minutes pour toute autre affaire.
Cependant, l’auteur d’une motion, le Premier ministre et les autres chefs de groupes parlementaires, ou leurs représentants, ont un temps de parole d’une heure pour les motions de fond et de trente minutes pour les motions de forme.
S’agissant des motions par contre, le droit de parole est limité à l’auteur de la motion et à un représentant par groupe parlementaire.
204. Temps de parole — Le député qui a proposé la mise aux voix immédiate et un représentant de chaque groupe parlementaire ont un temps de parole de dix minutes. L’auteur de la motion a droit à une réplique de cinq minutes.
Pour ce qui est de la détermination de l’ordre dans lequel les sujets sont déterminés, le Règlement spécifie que dans certains cas, la présidence doit tenir compte de l’alternance entre les groupes parlementaires et de la présence de députés indépendants dans les cas suivants :
- affaires inscrites par les députés de l’opposition (art. 97.2);
- sujet d’une interpellation (art. 295);
- répartition des motions de censure (art. 305);
- ordre des débats de fin de séance (art. 308 et 311).
Période des questions
Il n’y a pas dans le Règlement de règle fixe et immuable . Selon La procédure parlementaire au Québec (pp. 185-188), la tâche de répartir les questions (sauf mention contraire, par «question», nous entendons ici «question principale») revient au président et pour ce faire, il fonde ses décisions sur un certain nombre de principes et de facteurs – certains de nature structurelle et d’autres de nature conjoncturelle – élaborés au fil des ans lors de décisions prises par ses prédécesseurs :
- Tout député peut poser une question à un ministre (par conséquent, même un député ministériel peut poser une question durant la période des questions et des réponses orales).
- La période des questions est principalement dévolue à l’opposition dans son ensemble.
- La reconnaissance des groupes parlementaires doit être prise en compte.
- Le rôle de premier plan que doit accomplir l’opposition officielle lors des contrôles parlementaires.
- La composition de l’Assemblée nationale.
- L’importance, l’actualité et l’urgence des questions principales.
- Le nombre de questions complémentaires.
Comme la composition de l’Assemblée nationale telle qu’on la connaît depuis le 26 mars est sans précédent dans l’histoire parlementaire québécoise, il serait hasardeux de présumer de la répartition des questions entre les groupes parlementaires durant la 38e législature, d’autant plus que nous ne connaissons pas les précédents en cette matière lors d’autres législatures où l’Assemblée comprenait plus de deux groupes parlementaires (29e législature (1970-1973) et 31e législature (1976-1981)), ni les manières de procéder en cette matière dans d’autres parlements où le gouvernement est ou a été minoritaire. Toutefois, généralement, les deux première questions reviennent à l’opposition et le troisième question va au deuxième parti d’opposition lorsqu’il y en a un.
À titre indicatif, rappelons que durant la 37e législature, en vertu d’une décision prise par le président Michel Bissonnet le 30 octobre 2003, les «députés indépendants» (qui étaient quatre à l’époque) avaient droit à deux questions à toutes les cinq séances (au quatrième rang durant la période des questions), les députés ministériels à deux questions à toutes les trois séances (au cinquième rang ou au sixième rang si un «député indépendant» avait posé une question durant la séance) et l’opposition officielle toutes les autres. Le ratio de questions attribuées aux députés indépendants fut élevé à deux questions par période de quatre séances en octobre 2004, alors qu’ils étaient passés de quatre à six.
Commissions parlementaires
La composition des commissions parlementaires «sectorielles» est fixée aux articles 121 et 122 du Règlement de l’Assemblée nationale. L’article 122, qui couvre les cas où il y a un troisième groupe parlementaire, stipule que :
122. Membres supplémentaires — Malgré l’article 121, tout député indépendant ou appartenant à un groupe d’opposition autre que l’opposition officielle peut être membre d’une commission. Le cas échéant, le nombre de membres de cette commission est porté à douze, ainsi répartis :
1. sept députés du groupe formant le gouvernement;
2. quatre députés de l’opposition officielle; et
3. un député d’un groupe d’opposition autre que l’opposition officielle ou un député indépendant.
Pour ce qui est de la présidence des 10 commissions sectorielles permanentes, la règle veut que six d’entre elles soient attribuées à un député ministériel et quatre à un député d’opposition (et vice versa pour les vice-présidences).
126. Répartition des présidences — Six commissions sont présidées par des députés du groupe formant le gouvernement et trois par des députés de l’opposition.
La présidence d’une commission peut elle être attribuée à un député issu d’un troisième parti? Oui, si on se fie à l’article 128 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit qu’à défaut d’accord unanime au sein de la Commission de l’Assemblée nationale sur la répartition des présidences de commissions, le troisième parti a le septième choix sur les présidences de commission.
Mentionnons par ailleurs que les règles régissant le temps de parole en commission sont similaires à celles qui prévalent à l’Assemblée elle-même.
On remarquera que le fait que le parti ministériel soit majoritaire ou minoritaire à l’Assemblée nationale ne se reflète pas dans la composition des commissions parlementaires, où il conserve toujours la majorité. Cela est dû au fait que la composition des commissions est fixée dans le Règlement, ce qui ne permet pas de prendre en compte des circonstances exceptionnelles telles qu’un gouvernement minoritaire et/ou la présence d’un troisième groupe parlementaire en Chambre (notons, à titre de comparaison, qu’à la Chambre des communes, la composition des comités parlementaires est déterminée par un vote en Chambre au début de chaque législature, ce qui donne une souplesse additionnelle et explique pourquoi le parti ministériel est minoritaire dans les comités parlementaires depuis les élections fédérales de 2004 et de 2006, qui ont toutes deux vu l’élection d’un gouvernement minoritaire).
Cela risque de susciter certaines situations incongrues, telles qu’une commission parlementaire présidée par un député issu d’un parti dont il est le seul représentant et un gouvernement qui peut imposer ses vues en commission parlementaire, mais pas à l’Assemblée elle-même. Mais l’effet le plus important de ces dispositions sera vraisemblablement d’occasionner une charge de travail additionnelle des députés ministériels et un dégarnissement des rangs ministériels en Chambre durant les travaux des commissions (il n’est pas rare qu’une ou deux commissions siègent en même temps que la Chambre elle-même, sauf durant la période des questions). Compte tenu du fait que le président de l’Assemblée nationale (généralement issu du parti ministériel) et les ministres ne sont pas membres des commissions et du fait que les ministres sont peu présents à l’Assemblée en dehors de la période des questions, il ne resterait donc que 27 députés ministériels (si on retient l’hypothèse d’un Conseil des ministres de 20 ministres) pour tenir le fort à l’Assemblée et dans les commissions. Mais le plus étonnant, c’est que, dans les cas où deux commissions siègent pendant les travaux de la Chambre, le troisième parti se retrouverait avec une pluralité à l’Assemblée!
- LIB : 48 – le président – 14 députés en commission = 33 députés en Chambre
- ADQ : 41 – 8 députés en commission = 33 députés en Chambre
- PQ : 36 – 2 députés en commission = 34 députés en Chambre
Et encore, cette hypothèse suppose que tous les ministres seront présents en Chambre en dehors de la période des questions, ce qui est rarement le cas.
Ressources humaines et financières
Il incombe au Bureau de l’Assemblée nationale de statuer sur les questions relatives aux ressources humaines, financières et matérielles accordées aux députés et aux groupes parlementaires. En vertu de l’article 88 de la Loi sur l’Assemblée nationale, le Bureau est composé de la façon suivante :
88. Les membres du Bureau autres que le président sont désignés par les députés de chaque parti selon la répartition suivante:
1. cinq du parti gouvernemental;
2. quatre du parti de l’opposition officielle ou, s’il y a plusieurs partis d’opposition, trois du parti de l’opposition officielle et un de celui des autres partis d’opposition qui a obtenu le plus grand nombre de sièges ou, au cas d’égalité de sièges, de celui qui a obtenu le plus grand nombre de votes valides.
Pour les besoins de cet article, nous nous concentrerons sur le budget aux fins de recherche et le personnel politique. Ainsi, selon l’article 108 (premier alinéa) de la Loi sur l’Assemblée nationale,
108. Le Bureau détermine par règlement les sommes que les partis politiques représentés à l’Assemblée à la suite de la dernière élection générale et les députés indépendants peuvent recevoir de l’Assemblée à des fins de recherche et de soutien, ainsi que les conditions et modalités de leur versement. […]
Le Bureau se retrouve donc dans une situation sans précédent depuis l’adoption de la présente version de la Loi sur l’Assemblée nationale (en 1982), c’est-à-dire de fixer le budget de recherche à un deuxième parti d’opposition. Sur quoi le Bureau se basera-t-il? Nous n’avons pas la réponse, d’autant plus que nous ne connaissons pas les précédents en cette matière en 1970 et 1976.
Pour ce qui est du personnel politique, la Loi sur l’Assemblée nationale, selon l’article 124.1, attribue aux groupes parlementaires autres que le gouvernement et l’opposition officielle les mêmes ressources qu’aux deux principaux groupes, à l’exception du fait que le troisième parti n’a pas de budget attitré pour le bureau du whip :
124.1. Le Chef de l’opposition officielle, un député auquel s’applique le paragraphe 6° de l’article 7 [on parle ici du chef d’un troisième groupe parlementaire] de la Loi sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale (chapitre C-52.1), le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale, le leader parlementaire du gouvernement, de l’opposition officielle ou d’un parti visé au paragraphe 6° de l’article 7 de la loi mentionnée ci-dessus, le whip en chef du gouvernement et le whip en chef de l’opposition officielle de l’Assemblée nationale peuvent nommer le directeur de leur cabinet et les autres personnes nécessaires au bon fonctionnement de leur cabinet. […]
Conclusions
De ce qui précède, on peut conclure que les règles de procédure de l’Assemblée nationale sont essentiellement conçues en fonction de l’existence de deux groupes parlementaires. Toutefois, il y a des possibilités d’aménagements pour un troisième parti. Par contre, s’il y a plus que trois groupes parlementaires, il reste bien peu pour le quatrième parti et ceux qui suivent.
Par ailleurs, dans un contexte où l’idée d’une réforme du mode de scrutin est discutée, force nous est de constater que dans l’éventualité où un mode de scrutin proportionnel ou mixte devait être implanté au Québec, une refonte du règlement pourrait s’en suivre afin de prendre en compte de la nouvelle réalité qui risque d’en découler, notamment la présence permanente de plusieurs partis en chambre (par «plusieurs», nous entendons plus que deux), les probabilités moindres qu’un seul parti ait la majorité des sièges ainsi que la possibilité de voir apparaître des gouvernements de coalition.
Tags: Assemblée nationale, commission parlementaire, gouvernement minoritaire, groupes parlementaires, mode de scrutin, période des questions, règles parlementaires, temps de parole
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