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2 visions de la carte électorale

Le Soleil publiait aujourd‘hui un article de Louis Massicotte, professeur en science politique à l‘Université Laval, portant sur la question de la refonte de la carte électorale au Québec. Il s‘agit en fait d‘une version écourtée de sa présentation lors de la 6e Conférence Jean-Charles-Bonenfant qui avait lieu à l‘Assemblée nationale le 16 novembre dernier sous le thème Comment dessiner une carte électorale équitable? En résumé, M. Massicotte traite des grandes étapes de l‘histoire du processus de confection de la carte électorale au Québec et des 2 grandes approches qui se sont affrontées depuis le 19e siècle et qui s‘affrontent encore aujourd‘hui: l‘approche territoriale, qui met l‘accent sur les «communautés naturelles» au sein desquelles le député doit être appelé à travailler durant son mandat, et l‘approche démographique, qui tend à rechercher la plus grande égalité possible entre les circonscriptions (en termes de nombre d‘électeurs) afin de s‘assurer que le vote de chaque électeur ait un poids le plus égal possible.

L‘ensemble de la conférence, incluant l‘intégrale de l‘allocution de M. Massicotte, peut être visionnée ici. La vidéo dure un peu plus de 1 heure 30.

Le mercredi 06 février 2008
LE SOLEIL

Deux visions de la carte électorales s‘affrontent

Louis Massicotte
Professeur au département de science politique de l‘Université Laval
L‘auteur dirige la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires

(Ce texte résume une causerie prononcée lors de la Conférence Jean-Charles-Bonenfant l‘automne dernier) – La Commission de la représentation proposera prochainement une réforme du découpage électoral provincial. L‘occasion est propice pour réexaminer un dossier fort chaud il y a 35 ans, mais passablement refroidi depuis.

Deux visions de la carte électorale

Chaque redistribution permet de le constater, deux visions bien différentes de la carte électorale s‘affrontent depuis belle lurette sur la scène politique, et aboutissent à des prescriptions directement opposées

Pour les uns, la carte électorale constitue le cadre territorial au sein duquel les députés ont à travailler durant leur mandat. Dans cette perspective, le rôle essentiel et premier du député est de rencontrer ses commettants et de faire avancer les dossiers intéressant sa circonscription. Ce type d‘activité, chacun le sait, est beaucoup plus exigeant en milieu rural et dans les régions éloignées, c‘est-à -dire, en langue québécoise, «les régions» tout court.

Conséquences de ces prémisses : les circonscriptions doivent être des «communautés naturelles», elles ne doivent pas être physiquement trop vastes, et il faut faire en sorte que la charge de travail des députés ne soit pas trop inégale. Les inégalités de population d‘une circonscription à l‘autre sont vues comme légitimes et nécessaires. Le découpage doit préférablement rester stable dans le temps, «communauté naturelle» oblige, et qui donc est mieux placé que les députés pour décider de la délimitation électorale?

À cette conception fort populaire dans la profession parlementaire s‘oppose une autre vision qui voit la carte électorale comme le cadre d‘exercice des droits démocratiques, à commencer par le droit de vote. L‘égalité des citoyens étant un principe essentiel du droit électoral, la carte électorale doit être tracée de façon à garantir que le vote de chaque électeur pèse d‘un poids égal, sans égard au lieu de résidence.

On jugerait inqualifiable le fait d‘accorder deux votes à un individu sous prétexte qu‘il est plus instruit ou plus prospère que ses voisins, mais si on y réfléchit un peu, permettre à une circonscription d‘élire un député au même titre qu‘une circonscription deux fois plus peuplée revient en pratique à doubler le vote de chacun de ses électeurs. Il faut donc viser des circonscriptions aussi égales que possible, même si celles-ci ne correspondent qu‘imparfaitement à des communautés naturelles. De plus, il importe que le découpage soit refait à des intervalles rapprochés pour tenir compte de l‘évolution démographique. Enfin, il est préférable que les députés, tout en ayant voix au chapitre, n‘aient pas le dernier mot en la matière.

Aucune refonte globale durant plus de 100 ans

La première conception a largement prédominé pratiquement partout en Amérique du nord jusqu‘aux années 1960. Au Québec, il n‘y a eu aucune refonte globale de 1854 à 1972, le législateur québécois se bornant plutôt à ajouter quelques circonscriptions dans les milieux urbains en pleine croissance, tout en laissant ces derniers constamment sous-représentés. Le gouvernement avait la haute main sur toute l‘opération aussi bien en termes de contenu que de timing. Les conséquences de la vision sont illustrées de façon caricaturale par l‘état de la carte électorale provinciale en 1962. Les Iles-de-la-Madeleine comptaient alors 5 640 électeurs, alors que près de 135 000 s‘entassaient dans Laval. Plus globalement, 25% de la population contrôlait alors la moitié des circonscriptions, et 75% de la population contrôlait l‘autre moitié.

La surreprésentation massive des milieux ruraux à l‘Assemblée législative durant la première moitié du 20ème siècle n‘a pas empêché les campagnes de se dépeupler ou de se marginaliser économiquement. Toutefois, elle s‘est révélée très précieuse pour les élites régionales, et pour les partis qui recueillaient le soutien de ses milieux, soit les Libéraux de Gouin et Taschereau jusqu‘en 1936, puis l‘Union Nationale de Duplessis à compter de 1939. En 1952, par exemple, les sièges libéraux comptaient en moyenne 36,000 électeurs, ceux de l‘Union nationale 20,200. En 1944 et en 1966, les inégalités de la carte furent suffisamment fortes pour permettre à l‘Union nationale de remporter l‘élection avec moins de voix que les libéraux.

Les règles du jeu changèrent de façon décisive en 1970-1972. Les Québécois se sont tournés vers le modèle élaboré il y a longtemps dans les Dominions britanniques d‘Australasie : priorité à la norme démographique, limitation à 25% des écarts permis, redistributions périodiques, effectuées par une commission indépendante qui consulte la population, et (depuis 1979), dernier mot à la Commission sur le découpage. Depuis cette date, autour de 43% des électeurs contrôlent la moitié des circonscriptions, et 57% l‘autre moitié. Les incidences partisanes de ces inégalités ont été négligeables jusqu‘à tout récemment.

Deux évolutions importantes

Durant les années 1960, le Québec était en compétition serrée avec l‘Ile-du-Prince-Édouard pour le championnat de la carte électorale la plus inégale. La réforme de 1972 propulsa le Québec à l‘avant-garde du Canada en ce domaine. Depuis, nous sommes restés au même niveau. Le problème, c‘est que le reste du pays a beaucoup évolué, de sorte qu‘au tournant du millénaire, notre carte électorale était redevenue la plus inégalitaire du pays, et même du continent. De plus, l‘élection de 2007 a vu réapparaître des incidences partisanes qu‘on croyait choses du passé.

Ainsi, la circonscription adéquiste typique, le plus souvent suburbaine, compte en moyenne près de 48 000 électeurs, alors que la circonscription péquiste typique en compte 40 800. Le PQ a remporté 9 des 19 circonscriptions les moins peuplées, et l‘ADQ 19 des 38 circonscriptions les plus peuplées. Toutes choses étant égales par ailleurs, un découpage électoral plus égalitaire aurait probablement donné à l‘ADQ quelques sièges de plus au détriment du PQ.

On est loin pour autant d‘être revenus à l‘époque de Duplessis. Le régime actuel constitue une synthèse des deux conceptions exposées plus haut et il fait la part bien plus belle aux droits démocratiques. Notre découpage est bien plus égalitaire qu‘autrefois, il n‘affecte la position des partis que de façon marginale et personne ne soupçonne sérieusement ses auteurs d‘intention malhonnête.

Perspective d‘avenir

La Commission de la représentation doit déposer prochainement un rapport sur la délimitation et proposer de nouveaux ajustements. Comme en 2000, elle proposera probablement de réduire les inégalités. Et comme en 2000, on peut s‘attendre dans les régions éloignées à un tollé, dont les commissaires devront tenir compte.

Sans prédire l‘issue du débat, soulignons que les partisans du statu quo disposent de plusieurs atouts. Ils sont conscients de l‘avantage qu‘ils détiennent, alors que les résidents des banlieues sont le plus souvent ignorants du désavantage qui les pénalise. Ils peuvent compter sur une pléthore d‘élus locaux facilement mobilisables pour influencer les commissaires. Ils ont des partisans dans tous les partis, y compris le parti gouvernemental. Ce dernier n‘a pas un intérêt évident à heurter les résidents des régions. Autant de raisons de penser que le Québec a de bonnes chances, en ce domaine, de demeurer le champion de l‘inégalité électorale au pays.

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