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Accueil » Élections » Élection générale de 2007 » Les tiers partis et le système politique

Les tiers partis et le système politique

Autre analyse d‘un universitaire ce matin dans les journaux. Cette fois-ci, c‘est Jean-Herman Guay, professeur en science politique à l‘Université de Sherbrooke, dans La Presse, qui traite de l‘émergence des tiers partis ces dernières années au Québec (parmi lesquels il inclut l‘ADQ) ainsi que sur les conséquences de ce phénomène sur le système politique et électoral québécois.

Le mardi 06 mars 2007

Le vote antisystème

Jean-Herman Guay
L‘auteur est politologue à l‘Université de Sherbrooke.

Depuis presqu‘un an, sondage après sondage, Québec solidaire récolte au moins 5 % des intentions de vote. La grande enquête menée la semaine dernière par Léger Marketing auprès de plus de 3000 personnes confirme cette situation des derniers mois. Du côté du Parti vert, le phénomène est analogue.

En gros, un répondant sur 10 boude les équipes de Messieurs Charest, Boisclair et Dumont pour appuyer une nouvelle formation. Le phénomène n‘est plus marginal.

Quand on examine les résultats des deux principales maisons de sondage sur plusieurs années électorales, la tendance s‘impose encore plus clairement : l‘électorat se fragmente toujours un peu plus. En 1998, les petits partis n‘obtenaient pas 1 % des intentions de vote ; en 2003, ils étaient à 3 %; en 2006, c‘est 12 % ! Signe des temps : ils ont maintenant des candidats et candidates dans presque toutes les circonscriptions.

Avec la montée de l‘ADQ, depuis 1994, il semble bien que le temps du bipartisme est révolu. Il y a 25 ans, lors de l‘élection de 1981, les deux principaux partis avaient récolté 95 % des votes. En 2003, ils ne récoltaient pas 80 % des appuis. Bref, le paysage politique n‘est plus ce qu‘il était.

Première conséquence : l‘obtention d‘une majorité absolue de votes pour un parti, et non d‘une simple pluralité, est devenue rarissime. De 1867 à 1966, à l‘occasion des 28 premières élections générales québécoises, on a pu voir un parti franchir la barre du 50 % des suffrages dans 22 cas. Aux neuf dernières élections, soit depuis 1970, cette barre n‘a été atteinte qu‘à deux reprises ! Jusqu‘à présent, l‘effritement de la majorité des votes n‘avait pas eu de conséquence significative sur l‘obtention d‘une majorité de sièges. Cette fois, le phénomène est tel que l‘hypothèse d‘un gouvernement minoritaire n‘est plus farfelue. Deuxième conséquence : les campagnes électorales sont plus éclatées. Le combat de deux « coqs » – le rouge et le bleu – est remplacé par un jeu où les partis doivent surveiller deux, voire trois concurrents simultanément. C‘est particulièrement vrai pour André Boisclair puisqu‘il peut perdre sur trois de ses flancs : à gauche avec Québec solidaire, à droite avec l‘Action démocratique et sur la thématique environnementale avec les Verts. Avec des coudées moins franches, il est plus difficile de guerroyer contre le principal adversaire, les libéraux. L‘interaction des joueurs est alors plus complexe. Dans le cadre d‘une telle campagne, pas étonnant que 45 % des gens estiment qu‘ils peuvent encore changer d‘idée !

Troisième conséquence : la montée des petits partis – de droite ou de gauche – s‘inscrit habituellement dans une contestation plus profonde du système politique. C‘est le cas en France, mais aussi au Pays-Bas et au Danemark. « Vote de protestation » et « vote antisystème » sont les termes utilisés pour désigner ce comportement électoral qui consiste à appuyer des partis qui n‘ont aucune chance de former le gouvernement ni même, dans certains cas, d‘obtenir des sièges. L‘expression d‘un ras-le-bol devient plus important que le choix des gouvernants. Ce phénomène se combine au cynisme, à la chute du taux de participation, à la brièveté des lunes de miel et au niveau d‘insatisfaction élevé à l‘endroit des gouvernements.

Contraction du vote

Les deux dernières semaines vont cependant être difficiles pour les petits partis. Leur vote risque de se contracter parce que le système exercera son emprise de plusieurs manières. d‘abord, n‘ayant que fort peu de ressources financières, leur faible visibilité aux abords des rues et des routes et la quasi absence de «spots» publicitaires dans les médias pourraient leur nuire à quelques jours du vote. «Sont-ils dans la course ?» se diront certains.

Ensuite, et bien que l‘on puisse convenir qu‘un échange à cinq est laborieux et souvent ennuyant, l‘absence de Françoise David et de Scott McKay au débat des chefs du 13 mars, comme des grandes émissions d‘affaires publiques, pourrait faire perdre des milliers de votes à ces formations et les ramener dans la marginalité.

Mais ce qui risque surtout de faire mal aux petits partis, c‘est le vote stratégique découlant de la logique du mode de scrutin. Il est à prévoir qu‘un certain nombre d‘électeurs vont finalement voter pour le Parti québécois, se disant qu‘un vote pour Québec solidaire ou les Verts, pourtant plus proches de leurs valeurs personnelles, sera «gaspillé» et risque même de «faire passer» le candidat libéral ou adéquiste dans leur circonscription. Craignant que leur vote ne favorise des candidats dont le programme est aux antipodes de leurs convictions, ils vont mettre de côté leur premier choix, et se rabattre sur le péquiste, pas si loin de leur position politique ! Méchant dilemme.

Combien coûteront ces effets de système aux Verts et à Québec solidaire ? Impossible de le prédire. Le niveau d‘appui dans les sondages nous amène cependant à croire que toute variation en deçà de 10 % sera essentiellement attribuable au système. Pas étonnant qu‘ils veuillent le changer !

1 commentaire sur Les tiers partis et le système politique

  • Yvan Dutil

    Excellent texte, en voici de ma plume qui résume essentiellement les mêmes problèmes.

    Si la tendance se maintient, la prochaine élection sera … erronée !
    Yvan Dutil

    Dans tous les cas de figure, le prochain gouvernement sera le fruit d‘élection à  la validité douteuse. Nos élus n‘auront qu‘eux même à  blâmer pour cette situation. Par manque de courage politique, nos députés ont sacrifié leur légitimité sur l‘autel du pouvoir en ne mettant pas en place une nécessaire réforme du mode de scrutin. En effet, l‘espace démocratique québécois a changé, sans que notre système électoral s‘adapte, avec les conséquences fâcheuses que cela amène.

    Depuis une génération la complexité de la politique québécoise s‘est largement accrue. À l‘heure actuelle, les intentions de vote ressemblent plus à  celles d‘un système proportionnel que ce à  quoi l‘histoire récente du Québec nous a habitués. La croissance constante du nombre de partis politiques équivalents illustre cette évolution. Alors qu‘il était de 2,2 lors de l‘élection de 1981, il a atteint 2,6 en 2003 et aurait bondi à  3,7 selon le dernier sondage CROP. Il s‘agit d‘un sommet sans précédent dans l‘histoire du Québec, proche du niveau observé dans les pays utilisant un système électoral proportionnel. Cette tendance à  la complexification de la démocratie québécoise aurait dû avoir pour conséquence immédiate la remise en question de notre mode de scrutin et du fonctionnement de nos institutions parlementaires.

    Comme cette adaptation nécessaire n‘a pas été accomplie, nous nous exposons à  moyen terme à  une perte de légitimité des gouvernements et une augmentation de l‘instabilité politique. Par exemple, le nombre de députés élus avec plus de 50 % des votes a chuté de 60,8 % à  37,8 % de 1998 à  2003. Durant la même période, le pourcentage moyen des voix des gagnants est passé de 54,9 % à  50,1 %. Lors de la présente élection la situation empirera encore, alors que selon toute vraisemblance, le prochain gouvernement ne recevra que l‘appui de 35% de la population! Avec un électorat est aussi partagé, il n‘est pas rare que la pluralité se trompe en désignant comme vainqueur un candidat ne bénéficiant pas de la plus large base de support populaire. Ce taux d‘erreur serait de l‘ordre de 20% à  30% dans les conditions actuelles au Québec.

    Sans transformer radicalement notre système démocratique, des modifications mineures aux procédures électorales auraient permis une adaptation à  la situation politique. Par exemple, il serait possible de passer de la pluralité au vote par assentiment. Ce mode de scrutin autorise l‘électeur à  voter pour plus d‘un candidat. Cette modification évite les effets pervers de la division de l‘électorat. Il augmente aussi les probabilités que l‘élu possède le plus grand appui populaire, tout en étant équitable envers les petits partis.
    Ce mode de scrutin aurait pu être mis en place simplement en abrogeant le paragraphe 4 dans l‘article 365 de la loi électorale : le scrutateur rejette un bulletin qui a été marqué en faveur de plus d‘un candidat. Il aurait été aussi nécessaire d‘adopter une modification aux règles de financement politiques afin de ne comptabiliser que les votes véritablement additionnels lors de fusion. De cette façon, on éviterait que les partis se fragmentent pour ensuite fusionner après le suffrage pour accumuler un pactole avec les subventions gouvernementales.
    Il faudra malheureusement attendre après les élections, pour voir une véritable réforme du mode de scrutin. D‘ici là , les parlementaires devront prendre conscience du boulet que constitue leur légitimité douteuse. Espérons qu‘ils comprendront rapidement et agiront en conséquence.