Le blogueur Stéphane Dion de Go-Québec.com lance une initiative intéressante et inédite (à notre connaissance) au Québec: réaliser un sondage de sortie des urnes ou « exit poll » par Internet le 26 mars prochain:
Avec l‘aide des électeurs, nous voulons déterminer les résultats des élections du 26 mars prochain avant la fermeture des bureaux de vote. Les électeurs sont invités à compléter anonymement un très court sondage par circonscription sur le choix qu‘ils ont fait.
Les résultats obtenus seront combinés avec des données des élections antérieures ainsi qu‘une projection de la répartition des votes dans les 125 circonscriptions. La tendance des votes dans une circonscription permettra de déclarer un candidat élu.
Un sondage de sortie des urnes est un sondage réalisé immédiatement après que les électeurs aient quitté le bureau de vote et où, contrairement aux sondages d‘opinion où l‘on questionne les répondants sur leurs intentions de vote, on demande aux répondants l‘identité du candidat ou du parti pour lequel ils ont réellement voté. Pour de plus amples renseignements sur la méthodologie employée lors du sondage de sortie des urnes réalisé pour les principaux réseaux télé américains lors des élections de mi-mandat aux États-Unis en 2006, nous vous invitons à lire ce billet (en anglais) de Mark Blumenthal sur pollster.com.
En quoi est-ce une démarche inédite? Pourquoi n‘y a-t-il pas de sondages de sortie des urnes au Québec, par exemple par CROP ou Léger Marketing? Tout simplement en raison de la rapidité avec laquelle les résultats sont compilés. Les sondages de sortie des urnes sont généralement employés dans des pays populeux (ex: États-Unis, France) et/ou qui n‘ont pas les ressources qui permettent de communiquer rapidement les résultats du dépouillement, ce qui fait en sorte que le dépouillement des bulletins de vote peut s‘échelonner sur plusieurs jours. Une autre utilité des sondages de sortie des urnes est de contre-vérifier les résultats « officiels » d‘un scrutin dans une démocratie dite « émergente » afin d‘essayer de détecter les possibles cas de fraude électorale. Au Québec (et aussi au fédéral), le premier décompte des bulletins de vote est complété dans les heures suivant la fermeture des bureaux de scrutin et, sauf résultats extrêmement serrés ou retards dans une section de vote donnée, on peut rapidement proclamer un vainqueur.
Mais revenons au projet de sondage de sortie des urnes de Go-Québec.com. De prime abord, la méthode suggérée est, à certains égards, questionnable sur le plan méthodologique:
- d‘abord, comme tout sondage réalisé par Internet, rien ne garantit, contrairement aux sondages de sortie des urnes réalisés « en personne » à la sortie des lieux de votation, que chaque individu ne sera sondé qu‘une seule fois.
- Ensuite, étant donné que l‘échantillon ne sera pas sélectionné de façon aléatoire (les répondants sont ceux qui le veulent bien), rien n‘indique que l‘échantillon sera représentatif de la composition de l‘électorat québécois. De plus, après avoir répondu au sondage, nous nous sommes rendus compte qu‘aucune question n‘est posée sur les caractéristiques socio-économiques des répondants (âge, sexe, lieu de résidence, langue maternelle, scolarité, revenu, etc.), contrairement à ce qui se fait dans d‘autres pays. Rien ne permet de pondérer l‘échantillon en fonction des caractéristiques de la population, ce qui rend toute extrapolation pour le moins risquée.
- Enfin, les sondages de sortie des urnes sont généralement employés afin de tenter de prédire les résultats d‘une élection à l‘échelle nationale (par exemple lors d‘élections présidentielles) et non pas de prédire les résultats à l‘échelle des circonscriptions. Dans un monde idéal, avec un échantillon représentatif de la population, ça prend un minimum de répondants dans chaque circonscription pour faire une projection valide. À 500 répondants par circonscription (marge d‘erreur d‘environ 5% tout de même!), ça prendrait au mimimum 62 500 répondants à l‘échelle québécoise! Même Léger Marketing ou CROP seraient incapables fournir à la tâche en quelques heures, même par Internet, même avec toutes les précautions que les firmes de sondages prennent lorsqu‘elles sondent par Internet!
Autrement dit, la démarche de Go-Québec.com s‘apparente davantage à un « straw poll« , comme on en retrouve à tous les jours sur Cyberpresse, qu‘à un sondage de sortie des urnes. Nous n‘avons rien contre les straw polls en soi, nous en avons un nous-mêmes dans la section Élection 2007 de ce site. Le problème est de croire qu‘un straw poll peut être représentatif de l‘ensemble d‘une population. Par définition, un straw poll n‘est représentatif que de l‘opinion des répondants et ne devrait avoir aucune prétention scientifique.
Cela étant, l‘exercice de Go-Québec.com, à défaut d‘être un vrai sondage scientifique, risque de mettre encore plus de piquant à la soirée électorale, comme s‘il n‘y en avait pas déjà assez comme ça!
Bonjour,
Depuis quelques mois, je rôde régulièrement sur votre blog qui me sert de « plaque tournante » pour aller à la pêche aux infos sur l‘élection de lundi, en étant à la fois très intéressé et assez détaché des enjeux partisans qu’elle suscite…
… en effet, je ne suis pas québécois, mais français !
Passionné de politique (nationale, c’est mon métier), mais également internationale (c’est ma passion)… je suis depuis de nombreuses années les scrutins au Québec, au Canada et dans bien d‘autres pays.
Je dois avouer que je me posais depuis des années la question de savoir pourquoi au Canada et au Québec, le sondage « sortie des urnes » n‘est pas généralisé, à l‘inverse de ce qui se fait dans la majeure partie des pays d‘Europe.
En effet, en France comme en Allemagne, en Espagne ou dans les pays scandinaves, cette technique est utilisée par tous les instituts de sondages et les médias et nous disposons des résultats estimés en % et en sièges dès la fermeture des bureaux de vote, cette estimation ne variant que très peu au cours de la soirée (de l‘ordre de 1 ou 2%). Dès 20h, le résultat est acquis, sauf cas de lutte très serrée (et encore, en 1995 comme en 2002, les luttes serrées du 1er tour de la présidentielle étaient tranchées dès 20h01)
A tel point que le rituel « si la tendance se confirme… » lancé par la SRC en milieu de soirée pour marquer que le résultat semble acquis a pour équivalent en France un « Il est 20 heures, la nouvelle majorité/le nouveau président est… » très assuré, cela dès le début de la soirée électorale.
Longtemps, j’ai pensé que le mode de scrutin « FPTP », qui avec une variation de quelques voix peut voir de nombreuses circonscriptions électiorales (comtés chez vous) basculer empêchait la généralisation de l‘usage du « sondage sortie des urnes » et de l‘estimation rapide des résultats.
Cela d‘autant qu’en Europe, le seul pays FPTP, le Royaume-Uni, a également des soirées électorales sur le même modèle que les votres, sans résultat direct « sortie des urnes » et toutes en progression.
Mais en y repensant, je ne trouve pas d‘inconvénient à la méthode « continentale » d‘estimation (sondage sortie des urnes dans des circonscriptions tests, ce qui donne l‘estimation de 18h30 rendue publique à 20h, puis affinage dans chaque circonscription avec la sortie des 100 premiers bulletins, puis les 200 premiers bulletins et enfin les résultats définitifs de chaque bureau), cela quelque soit le mode de scrutin.
Je vous remercie donc d‘avoir concourru à m’apporter un commencement de réponse à mes interrogations à ce sujet… même si certaines demeurent.
Quoi qu’il en soit, je vous souhaite une bonne expérience « sortie des urnes » en espérant que celle-ci soit concluante !
Bien cordialement,
K.