OK tout le monde, on va respirer par le nez deux petites minutes.
Ce matin paraissant dans Le Soleil cet article de Michel Corbeil dans lequel il cite les résultats d‘une étude réalisée par le Parti québécois sur les résultats de l‘élection générale du 26 mars dernier. En gros, on a calculé la moyenne d‘âge dans chaque circonscription puis on a tenté de faire un lien entre la moyenne d‘âge et les partis politiques ayant remporté chaque circonscription. d‘où la grosse conclusion: les jeunes voteraient pour l‘ADQ et les vieux voteraient pour le PQ (soi dit en passant, ça n‘a rien de nouveau, David Gagnon avait fait la même chose il y a quelques mois sur son blogue Antagoniste.net). Depuis, tout ce qui grouille, scribouille et grenouille sur la blogosphère politique québécoise, des dessous de la politique à l‘homme en colère en passant par Patrick Lagacé, s‘affaire à tirer les conclusions les plus tranchées et les plus définitives sur une étude que personne n‘a lue, sauf Michel Corbeil (appel à tous: si quelqu‘un au PQ voulait bien nous envoyer une « enveloppe brune virtuelle » par courriel, nous sommes preneurs ).
Seulement, il y a un détail que tous semblent ignorer: d‘après ce qu‘on peut en connaître, il est loin d‘être certain que cette étude est valide sur le plan méthodologique. Si ça se trouve, nous venons d‘assister à l‘erreur la plus élémentaire, la plus « pee-wee » qui existe en méthodes quantitatives.
Pour faire une histoire courte avec une histoire longue, le procédé qui semble être employé dans l‘étude (selon les données dévoilées dans l‘article en tout cas) est l‘inférence écologique. Une erreur courante dans l‘emploi de cette méthode est d‘inférer sur des comportements individuels sur la base de données collectives en prenant pour acquis que tous les individus, sans exception, partagent les mêmes caractéristiques que celles de l‘ensemble du groupe. C‘est ce qu‘on appelle l‘erreur écologique ou ecological fallacy dont l‘existence fut démontrée dès le milieu du 20e siècle par le sociologue américain William Robinson qui, en tentant d‘étudier la relation entre le taux d‘alphabétisation et le pourcentage d‘immigrants dans chaque État américain, avait observé une différence majeure selon que le taux de corrélation était basé sur des données agrégées ou individuelles (pour plus de détails, voir Robinson, W.S. 1950. «Ecological Correlations and the Behavior of Individuals». American Sociological Review 15: 351–357). Il est vrai que depuis les années 50, les méthodes quantitatives en sciences sociales se sont beaucoup raffinées et certains chercheurs ont mis de l‘avant des solutions à la fois théoriques et techniques afin d‘effectuer ce type d‘inférence sous certaines conditions. Toutefois, ça ne fait pas l‘unanimité et ça demande une expertise très poussée que peu de gens possèdent en dehors des cercles universitaires, et rien n‘indique que les auteurs de l‘étude en font partie.
Conclusion: aucune donnée solide (méthodologiquement parlant) tirée de l‘étude citée par Michel Corbeil ne permet de confirmer l‘existence d‘un clivage générationnel sur la scène politique québécoise. Peut-être que ce clivage existe, mais pour s‘en assurer, ça prend des données recueillies à l‘échelle d‘observation appropriée, c‘est-à -dire l‘échelle individuelle. En d‘autres mots, ça prend un sondage.
Au risque de nous répéter, s‘il existait une étude électorale québécoise, sur le modèle des grandes enquêtes électorales universitaires, telles que les American National Election Studies ou les British Election Studies, nous pourrions avoir l‘heure juste avec des données fiables colligées et analysées par des chercheurs sérieux plutôt que de discuter d‘une étude dont on ne sait pas grand chose dans le fond, à commencer par son (ses?) auteur(s).
Bref, circulez, y a rien à voir! Poursuivez la lecture de «Vote générationnel? Pas si vite…»→